The truth is out there
Date: 372M39
Planète: Landsknecht IV
Arc 1
Il y avait de l’orage dans l’air, le soir où je me rendis au manoir abandonné sur les pentes du mont Tannenberg à la recherche de la « Mort Hurlante ». J’avait pris la peine de me faire accompagner car à l’époque, ma témérité ne se mêlait pas encore à mon goût de l’horrible et du paranormal qui à fait de moi un paria à la recherche de ce qu’il y a de plus étrange et d’insolite dans la vie. J’avait donc fait venir avec moi deux hommes robustes et fidèles. Ils avaient l’habitude de ce genre d’expéditions et convenaient parfaitement pour ce genre de tâche, aussi les avais-je appeler pour l’occasion.
Nous avions quitté le village presque en cachette afin d’échapper aux journalistes qui y rodaient depuis la tragédie qui c’était produite deux semaines plus tôt, lorsqu’on avait pour la première fois entendu parler de cette terreur mortelle, ce mal rampant: la « Mort Hurlante ». Plus tard me disait-je, ils pourraient se révéler utile, mais pour l’instant ils étaient plus une gêne qu’autre chose. Plût à l’Empereur que je les eusse laisser mener les recherches eux-mêmes! Si ça avait été le cas, je n’aurait pas été obligé de porter si longtemps ce secret pour moi seul, de crainte que le monde ne me croie fou ou ne sombre dans la folie à cause des implications démoniaques de toute cette affaire. Si je me suis résolu à parler, c’est par peur que cette obsession ne me mène à la démence, et maintenant j’aimerait n’avoir jamais rien cacher. Je suis aujourd’hui le seul à connaitre la vérité sur la terreur qui rôdait dans ces montagnes fantomatiques et désertes.
Après des kilomètres de forêt vierge et de collines, notre petite voiture n’eut pas la force de monter la dernière pente. La nuit, sans la légion des enquêteurs, l’aspect du pays était encore plus sinistre que d’ordinaire; aussi fûmes-nous souvent tentés d’allumer les phares de notre véhicule, ce qui risquait d’attirer l’attention. Ce paysage était tout sauf agréable à la nuit tombée et je pense que j’aurait remarqué son aspect lugubre et morbide même en ignorant tout du mal qui y rôdait. Il n’y avait pas de bruit de bêtes car elles se tiennent silencieuses au voisinage de la mort. Les vieux arbres frappés par la foudre semblaient étrangement grands et tordus, et le reste de la végétation épais et chargé de fièvre, tandis que de petits monticules recouverts d’herbe folle hérissaient la pierre volcanique et évoquant des serpents et des crânes humains aux proportions gargantuesques.
Les journaux avaient publiés des récits romancés de la catastrophe qui avaient pour la première fois avaient attiré l’attention sur cette région du monde. C’est par eux que j’appris, très tôt, que la terreur rôdait depuis plus d’un siècle sur le mont Tannenberg. C’est une colline aux pentes escarpées, isolée dans cette partie de la région à peine touchée jadis par la civilisation dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques rares maisons éparpillées ça et là et des montagnards dégénérés vivant dans des hameaux de montagne. Les hommes normaux y sont rarement allés avant la création de la Maréchaussée, et même maintenant les patrouilles sont rares dans la région. La peur cependant est une tradition dans les villages voisins. C’est même le principal sujet de conversation lorsque les pauvres montagnards descendent de leur vallée pour échanger des corbeilles tressées à la main contre des objets de première nécessité que ni la chasse, ni l’élevage ni leurs mains ne peuvent leur fournir. La peur rôdait sans cesse dans la maison des Mulder. Abandonnée et évitée de tous, elle se dressait au sommet de la colline portant le nom de mont Tannenberg. Depuis plus d’une centaine d’année, le vieux manoir en pierre, entourée d’arbres, était le sujet de rumeurs et de récits extravagants tournant toujours autour de la mort, sous la forme d’un colossal démon, silencieux et rampant, qui sortait l’été. On répétait en gémissant de peur que dès la tombée de la nuit, il s’emparait des voyageurs solitaires: parfois il les emportait, mais d’autres fois encore il les laissait sur place, affreusement déchiquetés et rongés. On prétendait également que les traces de sang menaient au manoir abandonné. D’après certaines personnes, c’était le tonnerre qui faisait sortir le démon de sa cachette; d’après d’autre, au contraire, le tonnerre était sa voix même.
Personnes, hormis les montagnards eux-mêmes, n’avait cru à ces contes divergents et contradictoires qui décrivaient d’une manière incohérente et délirante une créature démoniaque à peine entrevue. Pourtant personne, fermier comme villageois, ne doutait que le manoir Mulder était l’antre d’un vampire. L’histoire locale interdisait d’ailleurs d’en douter, bien qu’on n’en eût jamais eu la preuve. Pourtant, ceux qui avaient mené des recherches après avoir entendu des récits particulièrement monstrueux de la bouche des montagnards étaient nombreux. Les aïeules savaient conter des contes étranges sur le spectre des Mulder. Elles parlaient de l’étrange dissymétrie des yeux qui étaient un trait héréditaire de cette famille; de sa longue et curieuse histoire et enfin, du crime qui l’avait vouée à la malédiction.
La catastrophe qui m’avait incité à rendre sur place était l’effrayante et sinistre confirmation des plus étranges de ces fabulations. Une nuit d’été, après un orage d’une incroyable violence, le pays fut mis en émoi par les montagnards en proie à une terreur folle et incontrôlables qui ne pouvaient être simplement attribuée à des hallucinations. Ces pauvres êtres hurlaient et tremblaient à l’évocation de l’innommable terreur qui avait fondu sur eux. Personne ne mit leurs paroles en doute. Ils n’avaient rien vu d’ailleurs, mais les cris provenant d’un des hameaux suffisaient à prouver que le démon rampant était passé.
Le matin, des habitants du village et des policiers à cheval suivirent les montagnards terrorisés à l’endroit où, disaient-ils, la mort était survenue. La mort y était, en effet. Dans l’un des hameaux, le sol était creusé comme sous l’effet de la foudre, emportant avec elle plusieurs taudis insalubres. A ce dégât matériels s’ajoutait une perte en vie qui le rendait insignifiant: l’endroit était connu pour abriter environ 75 personnes; il n’y avait plus âmes qui vive.
La terre était couverte de sang et de débris humains qui n’exprimaient qu’avec trop de force les ravages exercés par des griffes et des crocs démoniaques. Pourtant, aucune trace ne semblait s’éloigner du lieu du carnage. Tout le monde accepta sans difficulté qu’il s’agissait d’un animal monstrueux et nul n’osa suggérer que c’était peut-être l’un de ces massacres sordides comme il y en avait dans certaines sociétés dégénérées. On finit cependant par le murmurer lorsqu’on apprit que 25 personnes n’étaient pas du nombre des cadavres. Mais il restait difficile d’expliquer le massacre de cinquante personnes par le dernier tiers des habitants du village. Mais il restait qu’une nuit d’été, la foudre était tombé et avait laissé dans le village une cinquantaine de cadavres monstrueusement déchiquetés, rongés et mutilés. Dans leur émotion, les gens du pays y virent immédiatement un rapport avec le manoir des Mulder, bien qu’elle fût éloignée du lieu de plus de cinq kilomètres. Les forces de l’ordre furent plus sceptique et n’examinèrent que rapidement la maison au cours de leurs investigations. Constatant qu’elle était entièrement abandonnée, ils ne s’y intéressèrent plus. Mais les gens du pays l’inspectèrent avec le plus grand soin; on retourna tout dans la maison, on sonda les mares et ruisseaux, on battit la végétation, on fouilla la forêt voisine. Toutes les tentatives furent vaines; le démon n’avait pas laissé d’autre trace de lui que cet indicible massacre.
Dès le second jour de l’enquête, l’affaire avait complètement été exposée dans les journaux dont les correspondants n’avaient de cesse de parcourir le mont Tannenberg. Ils décrivaient le manoir avec un grand luxe de détail et tentaient d’élucider le mystère en interrogeant les vieillards du pays. Je suivis d’abord le récit de ces horreurs avec détachement, car je suis un connaisseur en la matière, mais au bout d’une semaine, ayant sentit dans l’atmosphère quelque chose de troublant. Je me mêlait donc aux journalistes qui emplissaient l’hôtel de Coburg, le hameau le plus proche du mont Tannenberg et qui servait de quartier général aux enquêteurs et aux journalistes. Au bout de trois jours, le départ des journalistes me donna liberté de mettre sur pied une expédition basée sur l’enquête minutieuse à laquelle je m’était livré en attendant.
Donc, par une nuit d’été déchirée de lointains roulements de tonnerre, je quittai la voiture silencieuse et gravissait, avec mes deux compagnons armés, la pente menant au sommet couvert de bosse du mont Tannenberg; les rayons de ma lampe électrique éclairant les murs d’un gris spectral que laissaient entrevoir les chênes géants, dans la noirceur nocturne.
La maison, vaste et massive, produisait une impression de terreur vague que le jour même ne dissiperait probablement pas. Malgré tout, je n’hésitait pas, puisque j’était venu pour vérifier mon hypothèse. A mon avis, le tonnerre faisait sortir le démon mortel de sa cachette; et que ce démon fût un être matériel ou une vapeur pestilentielle, j’avait bien l’intention de le savoir.
J’avait déjà fouillé la maison de fond en comble les jours précédents aussi mon plan était-il tout prêt. J’avais décidé de m’installer pour faire le guet dans ce qui avait été la chambre de Jan Mulder, dont le meurtre occupe tant de place dans le folklore régional. Il me semblait que les appartements de cette victime convenaient le mieux à mes projets. La pièce, d’environ six mètres, contenait, comme les autres, tout un fatras, vestige du mobilier d’autrefois. Située au deuxième étage, à l’angle de la maison, elle était éclairée par deux fenêtres sans vitres ni volets, une grandes vers l’est et une petite vers le sud. En face de la plus grande se dressait une immense cheminée à l’ancienne, revêtue de carreaux de faïence illustrant l’histoire de Jan; en face de la petite fenêtre, un vaste lit avait été aménagé dans le mur..
Les roulements du tonnerre, bien qu’assourdis par la forêt, allaient en augmentant. Je mis au point mon plan. Je commençait par fixer côte à côte, au bord de la grande fenêtre, trois grandes échelles de corde que j’avait apporté. Je savait pour les avoir essayées qu’elles permettaient d’atterrir sur l’herbe en un endroit commode. Puis, aidé de mes deux compagnons, j’allait chercher dans la pièce voisine un grand lit à colonnes que je trainai pour le positionner contre la fenêtre. Nous nous y étendîmes, nos armes à portée de main. L’un de nous devait veiller pendant que les deux autres se reposeraient. De quelque coté que vint le démon, notre fuite était assurée: s’il venait de l’intérieur nous devions nous sauver par les échelles de corde; s’il venait de l’extérieur, il nous restait la porte et l’escalier. D’après ce qui était déjà arrivé, nous ne pensions pas qu’il nous poursuivrait jusque-là, même en mettant les choses au pire.
Je veillait de minuit à une heure. A ce moment, malgré l’atmosphère sinistre du manoir, le tonnerre et les éclairs, je fus pris d’une étrange somnolence. J’était allongé entre mes deux compagnons, Gary Wilson du coté de la fenêtre et Livian Bogart du coté de la cheminée. Celle-ci exerçait sur moi une fascination surnaturelle et je n’arrivait pas à en détacher mes regards. Wilson dormait, affecté par la même curieuse somnolence que moi et je désignait Bogart pour veiller; pourtant, lui aussi commençait à dodeliner de la tête.
Le tonnerre, de plus en plus fort, avait dû influencer mes rêves car mon bref sommeil fut empli de visions d’horreurs. Je m’éveillait à moitié, sans doute parce que Wilson avait jeté son bras en travers de ma poitrine. Je n’était pas encore assez réveillé pour voir si Bogart s’acquittait convenablement de ses devoirs de veilleur. Cependant, j’était très anxieux; jamais l’impression d’une présence maléfique ne m’avait oppressé à ce point. Je dus me rendormir car c’est d’un rêve plein de phantasmes que j’émergeait lorsque des cris hideux déchirèrent la nuit, des cris tels que je n’en avais jamais entendu ni même imaginé.
Au milieu de ces cris, la terreur et l’angoisse frappaient mon âme jusqu’à ses tréfonds, follement et désespérément. Je m’éveillai d’un univers de folie rouge, plein de démons moqueurs où j’avait cru descendre dans un abime de terreur insondable. Il n’y avait pas de lumière, mais sentant le vide à ma droite, je compris que Wilson était parti, l’Empereur seul savait où. Sur ma poitrine reposait encore le bras lourd du dormeur de gauche.
Puis vint un éclair qui ébranla la montagne tout entière et éclaira tous les recoins de la forêt et du vieux manoir. L’éclair réveilla brusquement le dormeur et, à la lueur qui venait de la fenêtre, j’aperçus brusquement une ombre sur l’immense cheminée d’où je n’avait pu détacher mon regard. Que je sois encore vivant et sain d’esprit est un miracle que je ne puis et ne cherche pas à comprendre. Non, je ne puis car l’ombre que je voyais sur cette cheminée n’était ni celle de Livian Bogart ni celle d’aucune créature humaine, mais une anomalie prodigieuse, une abomination sans forme et sans nom que l’esprit se refuse à concevoir et la plume à décrire.
L’instant d’après, je me retrouvait seul dans la maison maudite, tremblant et hurlant de peur. Gary Wilson et Livian Bogart étaient partis sans laisser de traces, pas même de lutte. Nul n’a plus jamais entendu parler d’eux.